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22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 09:37

Et la transparence.

Une transparence extrême où le corps s'immergeait indûment. La transparence de la Méditerranée interdit le plongeon autant qu'elle le provoque. Quelque chose comme "je n'ai rien à faire là" si ce n'est générer le trouble. Brouiller l'image immédiate des sables, des galets, des algues.

 

Et l'odeur

Un parfum de figuier poussé à son paroxysme quand la chaleur s'insinue entre deux murs, que le soleil y plonge tout droit, que les fruits écrasés bourdonnent d'insectes volants et rampants.

 

Et le bleu

Quelque chose de net, dont on sonde la fraîcheur avant d'y passer le doigt : est-ce sec, ce bleu, est-ce profond, combien de temps cela va-t-il durer, et comment cela se tient-il devant et au-dessus de moi ?

 

Et le vent

Quand on s'habille pour lui, qu'on choisit une robe large come un spi, qui va claquer, s'élever, fasseyer, et qu'on décide de l'itinéraire pour l'avoir de face, lui résister, s'arc-bouter. On ouvre la bouche et il happe votre souffle au vol. Le ventre se gonfle, les yeux se ferment, l'air se fait tendre et tiède.

 

Et les jardins

Minuscules états botaniques, comme des terres consulaires chargées de retenir quelques bribes d'une patrie délaissée ou délaissante, où s'élabore la science de l'acclimatation d'espèces rares, ou plus exactement et plus souvent d'espèces exilées dont on espère qu'elles voudront bien reprendre leur floraison et leur fructification dans un climat d'elles inconnu – et survivre à leur jardiner.

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21 avril 2012 6 21 /04 /avril /2012 09:11

Parler de la Méditerranée. La montrer en noir et blanc. Totems cyprès oliviers chutes rocailleuses.

Une utopie

Arpenter Nice, la mesurer, la définir, la décrire, lui donner un poids impensable, la cerner de khôl, la meubler de fantasmes et d'immeubles, la chausser de bottines blanches cloutées d'or.

Chacun la meuble à sa façon, style gothique ou simili-contemporain.

L'adosser aux montagnes et la gifler d'un coup de Mistral.

Lui faire affronter la mer et l'hiver dont Raymond Roussel lui-même a souligné le froid.

Toute nue sous une robe ample, toute nue sous un imperméable beige, sous un ciré gris anthracite, sous une momie de skuns mort depuis cent ans, que le vent agite, rauba capéu, je te parcours ville frissonnante, des yeux je retouche mille affronts.

Nous avons été si nombreux à y marcher sans logis, sans famille, sans patrie.

Nice, non pas pétrie d'amour mais de désir, seulement de désir.

Un appât, une obole dont les riches tirent les ficelles. Elle glisse dans le champ de ton regard, tu tends la main, elle te capture et t'oublie dans la rue.

Mille fois se dire qu'on la quitte.

Cette fois, je pars. Je quitte Nice. Je quitte Nice. Je quitte Nice. Je vais à Berlin, à Paris, à New-York leur faire savoir qui je suis.

Des gens me regardent, forcément me regardent fagotée à la Niçoise. Au pire un accent pied-noir, au pire des cheveux blondasses, au pire des godasses mauves, au pire la peau bronzée. Relouquée de frais je me cache. Niçoise, moi, jamais.

Mais les palmiers poussent sur ma tête, le ciel s'agite dans mes yeux, et la mer....

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20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 09:46

Dans un coin de Nice, quelqu’un soupçonné d’hérésie glisse un pourboire à un ivrogne qui vend Nice-Monde en sous main. Chaque jour des lois préparent l’avenir de Nice quand les Niçois cognent leurs yeux contre des vitrines sales, des rideaux de fer, des pancartes « à vendre » et « à louer ». Des bus gazogènes tracent entre les rares voitures. Les dessinateurs célèbres sont tous sur le trottoir à mater les passants. La police leur téléphone en pleine nit : un meurtre place du Pin, un viol rue Paradis. Ils livrent leur travail à l’aube : une page de calepin et quelques borborygmes recopiés hâtivement sur le mur de la voie rapide.  Depuis longtemps les étudiants n’étudient plus que des matières à rebondissement : sciences affolées, lettres galvaudées, juridiction en panne, intestins grêles que des malabars s’enroulent autour de la tête pour halloween. La furie s’est emparée des égéries qui bâtonnent en michtonnant sur la Prom’. Elles apprennent le Russe en suçant des zakouskis. Ils zézaient en Niçois en rajustant leur falzar. La ville est à vendre. La ville est à vendre. Hurlement des colporteurs dont les rollers silencieux zèbrent les trottoirs. De pauvres mémés molestées agitent des molesquines dans leur dos puis gravissent en chausson  les marches d’un asile.  Tout est asile aux exilés. Les caves regorgent d’invendus. L’homme fort remonte la pente. Il téléphone à son comptable. Un expert en coffres. Il lui demande si c’est toujours d’accord pour demain. Et l’autre acquiesce. Ni vu ni connu. La lippe satisfaite de l’homme en répond. Des buissons de bouteilles balancés par le vent concurrencent les lauriers. On peut partout déposer ses cadavres dans un remake duchampien fabriqué sous licence. C’es la nouvelle façon de récolter le verre.  Mais par facétie, un jeune garçon a également acheté un lot d’urinoirs en porcelaine blanche qu’il a artistiquement placés jardin Albert 1er. Des rosiers leur font ombrage en été. Pas d’évacuation.  Un tout à l’égout naturel. Des feuillées comme en 14. C’est joli et ça sent naturellement bon. On peut bavarder deça delà avec les jeunes files assises sur les bancs. Elle ne sont ni émoustillées ni inquiétées par cette démonstration instrumentale qui les laisse toujours jeunes et toujours filles malgré tout. Certains regrettent les sanisettes. Mais comme elles ont été squattées par des artistes, on y entre aujourd’hui pour visiter leurs œuvres plastifiées. L’argent récolté va au fonds de soutien de l’artiste. Chacun a la sienne. Et comme on n’ose plus pisser parmi les oeuvres d’art, on en est revenu aux urinoirs. Les sanisettes restent donc plantées sous les platanes, et un parcours a été distribué en Japonais pour les visiter toutes. Un yen chaque. Visite solitaire. Un moment de méditation. On a fini par les appeler des masturbettes. Même les femmes y vont de leur larme. Le nez de Nietzsche en est effondré. C’est un moment de crise magnifiquement interprété. Un gluppopéra. Une sorte de sauvage épopée qui ravage les galets. Chaque après-midi, un parcours de jet a lieu sur la plage. A en remplir la mer. Tournant le dos à la ville immobile, froide, noircie, où des taxis épouvantés clignotent en criant « Des sous, des sous, des touristes », la population participe aux 24h de jet de galet contre un plateau-repas. Sponsor : Hamburger’s ans Co. Les restaus sont fermés. Les hôtels sont fermés. Des Russes, seulement des Russes confirment leur choix en pointant chaque maison du doigt : « J’achète, j’achète ». Les rares Amerlos en rade à Villefranche jouent leur retraite au poker. Les Européens franchissent d’autres villes en leur donnant le même look.  Nice fleurit en pleine campagne dans le Brabant, en Turquie, sur le Pelloponèse. Nice, un concept qui dure. Ils en vendent comme des pan-bagnats dans le monde entier. Du Bengladesch à Taschkent. Tout le monde veut son Grand Café de Turin, son Négresco, son marché de la Libé et jusqu’à l’Ariane qu’ils ont réussi à vendre aux Chinois. Pendant ce temps-là, dans une ville entièrement murée (des tonnes de parpeings !) errent quelques artistes, des fadas, des ruinologues, des paumés, des édentés des bougres de buveurs de gratta keka, de pastis, de blanc lime, des photograpes qui en avaient fini avec Alexandre dans les années 90, et des rats. Mais quel peuple, me direz-vous ? Eh bien  un peuple qui se tient à la disposition du pouvoir, qui attend l’pourboire, qui zyeute les avions et les trains, qui rtape les bagnoles. Un peuple au ras des banques, au ras des affaires. Des gens qui ont l’flair de rester là. Faut du cul pour rester ! Du pèse ! Qui s’barbent à répéter « Y en a tant qu’on veut, on tape dans un réverbère, etc. » Les femmes font la queue et les enfants chapardent. A la guerre comme à la guerre ! Le guide des branlettes et le guide des urinoirs se font la gueule dans la vitrine. Des ombres inquiétantes balaient le paysage. Le jour se lève sur Nice-Monde.

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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 16:33


Le Pouvoir et la science, le pouvoir de la science, la communication scientifique, la démocratie et la connaissance... autant de sujets émergeant, puis disparaissant.
Par contre les questions demeurent, et s'il est une forme propre à la science c'est bien l'interrogation, voire le doute.


Les hommes du Pouvoir ont-ils une connaissance des problèmes liés au progrès scientifique qui soit différente de celle des citoyens qui les ont élus ? Et si non, comment leur demander des réponses plus pertinentes à ces questions ?
Quels sont les moyens dont disposent les citoyens pour comprendre les questions que pose la science ?
La communication, si elle passe par les medias, est-elle suffisante ? Rend-elle compte de la réalité ?
Qui doit communiquer, le scientifique, le journaliste ? L'un et l'autre réunis ?
Pourquoi la presse ne s'intéresse-t-elle qu'à des sujets "people" c'est à dire à la biologie, à la médecine, à l'astrophysique ?
Comment exercer la démocratie sans partage de la connaissance ? Quid de la culture scientifique ?
Pourquoi l'objet scientifique es-il si méconnu, si mal aimé, condamné à vivre en champ clos pour une génération qui a pourtant  suivi un enseignement secondaire, et parfois même supérieur ?
La clivage "littéraire"- "scientifique" n'est-il pas à la source d'une incompréhension dont l'effet s'aggrave avec le temps ? Philosophie et évolution de la science ne doivent-ils pas aller de pair ?
Ne pensez-vous pas que les grandes peurs actuelles (ITER, les OGM, le nucléaire et ses déchets..) sont dues à une absence d'intérêt pour la démarche scientifique ?
Cette peur assortie d'une nécessaire confrontation avec la science, ne nous précipite-t-elle pas vers le parascientifique ? Vers l'obscurantisme ?
N'est-ce pas contradictoire avec l'engouement quasi fanatique pour les progrès de la technologie ?
Croyez-vous vraiment que les scientifiques ne se préoccupent pas en même temps des problèmes que leurs découvertes et leurs applications peuvent générer ?
Comment penser la technologie sans la science ? La physique et la biologie sans les mathématiques ? L'actuel progrès sans la démarche séculaire des chercheurs ?
Ne trouvez-vous pas plutôt encourageant le fait qu'il existe des débats entre les scientifiques eux-mêmes, que le doute anime leurs travaux  et qu'il ne s'agit donc pas d'un totalitarisme, au lieu de vous émouvoir lorsque ces débats ont lieu devant vous ?

Si nous n'avons pas su saisir les outils de connaissance qui nous étaient proposés, notre génération est si on peut dire perdue. Il reste donc à  sauver les enfants. La méthode ? Prendre appui sur l'enseignement primaire et par conséquent amener les professeurs des écoles à une connaissance homogène et partagée de la culture scientifique afin qu'à leur tour ils la transmettent.


Et aujourd'hui, tous ensemble, participer aux débats menés par les universitaires, aux conférences, et en offrant à vos enfants des livres traitant de la Science, les accompagner dans leur lecture.

 

 

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17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 08:54

La bizarrerie de la Résistance française pose l'engagement saisi entre les pincettes d'une occupation étrangère et de compatriotes susceptibles de collaboration avec l'ennemi.

Le voisin, le passant, parfois même le familier, le cousin pour ne pas dire le frère, peut se révéler un ennemi tout aussi bien qu'il peut aider la Résistance.

C'est une chose que de lutter contre l'envahisseur, dont par ailleurs on sait ou on soupçonne les crimes civils, et c'en est une autre de constater qu'on est une poignée de compatriotes à le faire ouvertement, un certain nombre à être sympathisant, c'est à dire à héberger ponctuellement, à fournir des renseignements, un groupe important à fermer totalement les yeux mais prêts à se réjouir de la Libération comme s'ils y avaient contribué, et on ne sait combien à s'imaginer facilement associé à l'ennemi.

La notion de Patrie en prend un coup : on s'aperçoit qu'elle ne choisit pas ses amants.

 



 

 

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 12:23

C'est le peuple francais qui se comporte entre la droite et la gauche comme quelqu'un d'inquiet sur son identité sexuelle, hésitant à faire son coming out.


C'est très visible dans l'extrême sensibilité des gens de gauche à l'égard de l'extrême droite et dans l'agressivité des gens de droite envers la gauche. Fascination et peur de la fascination. Reconnaissance de certains acquis de la gauche pour les uns et honte de profiter de certains bienfais du capitalisme pour la gauche. Ou l'inverse.


C'est parce que le peuple francais n'a pas dans son ensemble cédé ouvertement et massivement, comme ses collatéraux l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne, au fascisme, et que ceux qui qui ont résisté ont souvent admis une forme différente du totalitarisme située plus à l'Est.


Or, les details comptent seulement si on en déjoue les déguisements, par exemple on peut tuer de mille facons. Les Allemands ont appliqué le Taylorisme avec succès, mais les Russes ont préféré des formes plus classiques de la destruction massive, tels que fusiller, déporter, en remplaçant la mécanisation par la bureaucratie. Le sang que les assassins portent sur leurs mains est bien du sang et non celui d'un doigt declencheur : celui d'Hiroshima, non ?

 

De même l'indifférence que les Français ont montrée envers les luttes anticoloniales comme en ne s'insurgeant pas majoritairement contre les délits perpétrés par la France dans ces mêmes colonies, aux divers moments de leur histoire, cette indifférence et la culpabilité qui s'en suivit ne cessent d'augmenter notre mal-être, oui, celui de tous, même de ceux qui ont résisté, qui ont choisi la cause des exploités, qui dénoncent encore aujourd'hui ces systèmes : comme la honte qui s'abat sur une famille par le crime d'un seul.

 

Mais refuser sa nationalité est plus difficile que de rompre avec sa famille. On peut refaire sa vie, changer de nom et soutenir qu'on n'est l'enfant de personne. L'origine géopolitique vous est acquise pour toujours : l'émigré est indéfiniment rattaché à sa patrie d'origine par le fait même de son intégration dans une nouvelle patrie. Les Américains en sont la preuve. 

 

Donc, cette France avec son histoire aussi entâchée que celle d'autres pays de crimes et de lâchetés, aussi brillante que d'autres par ses créateurs et ses philosophes, malheureusement victime de la devise qu'elle s'est choisie, cette France est le nom d'une communauté qu'un territoire du même nom continue d'accueillir par les mérites d'une géographie propice.

 

Quant à sa fameuse devise Liberté Egallité Fraternité, je voudrais souligner qu'une devise n'est pas un constat, c'est un but qu'on se donne pour agir, une ligne de conduite, voire une ligne de fuite. C'est aussi fascinant pour un peuple que le Paradis pour un religieux, que le Communisme pour un Marxiste. Oui, la liberté dont nous croyons disposer est réduite, oui, l'égalité que nous exigeons a des limites que parfois notre corps lui-même nous impose, oui, la fraternité ne parvient pas à juguler les passions qui sont du domaine de l'humain (y compris la xénophobie). Mais le rôle de notre devise est de nous conduire à bander nos forces, à les associer pour frôler cet idéal.

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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 09:56

Quand nous parcourions la ville pour venir la retrouver, nous nous cachions de tous, y compris de notre père et de notre oncle croisés en armes et le visage entouré de foulards. Une guerre des ombres. Les raisons de tuer se transmettaient comme un secret. Parfois, on se penchait malgré soi sur un corps pour le secourir et ce corps vous saisissait à la gorge avant de s'effondrer. Qui était l'ennemi de qui et depuis quand? Depuis toujours, balbutiaient les aïeuls. On n'avait pas enseveli la hache de guerre, on l'avait cachée. Souterrains et greniers recélaient les ferments d'une guerre nouvelle.

 

Hortense ce soir-là, je m’en souviendrai toujours,  était habillée de noir, de prune, de mordoré, Elle était emmitouflée de fourrure marron, chaussée de bottes basses en peau châtaigne. Des rubans attachaient ses cheveux. Des gants  cachaient ses mains. Je  ne la reconnaissais pas. J’étais seul. Désormais je serais seul avec elle. Jérôme, l'échevelé, avait rejoint le bois. Je ne m'en sentais pas capable. J’étais seulement habile à faire fi des patrouilles. Je me faufilerais bien facilement encore jusqu'à chez elle le plus souvent possible. Elle s'appuyait contre le dossier de la chaise sans me répondre, fixant la porte. Je me suis avancé pour intercepter son regard, mais elle a baissé les yeux, embarrassée semblait-il. Je ne pouvais pas croire que cette femme cherchait ses mots, qu'elle réprimait un tremblement, qu'elle craignait que sa voix la trahisse.

 

Nous vivions dans une de ces provinces éloignées du pays qu'un simple changement de saison isole totalement. Une débâcle. Un petit séisme. Tout n'est que fleuve infranchissable. Je sais aujourd’hui que de grands succès, une extrême prospérité, ont pour effet ordinaire d'enivrer l'esprit des hommes, d'enfler leur vanité et leur orgueil. Dans un instant où le bonheur est à son comble, je ressentais, en présence de cette femme, une vive inquiétude. Je craignais qu'une décision fâcheuse ne vienne détruire ma félicité, et que toute cette joie ne s'évanouisse bientôt sans laisser de traces.

 

Elle reconnaît cette prose latine que nous avons si souvent lue à voix haute. La mémoire lui est venue, dont je me plaignais tant de ne pas l'avoir reçue en partage. Elle m’affirmait que tout me serait acquis plus tard, quand nous aurons fermé toutes les portes et toutes les fenêtres.

« Quand la ville elle-même ne sera plus qu'une immense prison cernée de bronze. Alors, racontait-elle en souriant, c'est le jour qui te sera offert, filtrant à travers la fente d'un mur. Et la voix fragile provenant d'un soupirail, la voix de l'oiseau entre les poutres, les pas effleurant le sol à la ronde. « 

 

De quelle prison parlait-t-elle donc, et de quelle nuit ?

 

Il y avait sur chaque meuble ce soir-là un cartel de bronze doré que je n'avais jamais remarqués. Ou bien n'y étaient-ils pas. On les avait remontés de sorte qu'ils sonnassent de quart d'heure en quart d'heure. Leur carillon se propageait tout autour de la pièce tandis que je me taisais.

 

« On ne saura jamais ce qu'il en est de la révolution ou de la guerre dont les dernières fumées parsèment le ciel. Les guerres ici flambent et s'éteignent tous les vingt ans. Histoire de vider quelques querelles et de laver l'honneur. Les femmes qui étaient retournées dans leur famille s'en reviendront avec leurs jeunes enfants. On tentera d'oublier sa langue, ses couleurs, les chants de sa patrie. On redeviendra taciturne. »

 

C'est ainsi qu'Hortense m’a obligé à sourire malgré le cliquettement des armes et le martellement des pas devant la porte. Elle a simplement dit: « C'est pour moi ». Et puis elle est sortie à leur rencontre.

 

Sans dire son nom comme elle l'avait promis.

 

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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 10:10

A l'idée que, franchie cette haie de troènes, le temps de guerre s'arrêtait pour laisser place à l'univers feutré de la bibliothèque, une angoisse terrible nous saisissait. Dès lors que la mort avait décimé les tribus, aucun lieu ne pouvait être épargné. Et la notion de trahison s'empara de notre esprit.

 

Nous la regardions, apparemment calmée, qui ajoutait une bûche dans la cheminée. Nous lui avons avoué que depuis plus d'un mois aucune cheminée hormis la sienne ne fumait plus : les bois étaient situés sur l'autre bord et abritaient des armées. Parfois on en voyait flamber une partie la nuit. Des réseaux s'étaient constitués pour aller subrepticement en chercher, mais ils ne rapportaient jamais que quelques fagots distribués à l'hôpital. On cassait en menus morceaux chaises et tables. Démeublées, les pièces paraissaient encore plus glaciales. On les isolait avec des paquets de journaux posés sur le sol. Elle remarqua alors seulement que nos jambes étaient enroulées dans des pages anciennes du quotidien local. Pourquoi le froid s'était-il donc abattu sur le pays dès les premiers jours du conflit?

 

On lui apprenait que des factions se préparaient à la guerre depuis des mois dans le plus grand secret. Pourtant les gens qui gardaient le pont portaient parfois les mêmes patronymes et riaient encore la veille des mêmes plaisanteries. Il n'y avait aucune différence notable entre celui-ci et celui-ci, entre ce mort et ce vivant, entre cette mère et cette fille. Tout ce qui avait présidé à nos jeux, la rivalité enfantine que l'on tournait en dérision, jeux de mains jeux de vilains, etc. tournait au drame. Les combattants retrouvaient derrière une vitre leur propre visage tuméfié par la crosse. Des mains se tendaient, l'une serrant une pierre et l'autre s'ouvrant pour demander à boire. Le râle des mourants atteignait les vivants en plein front.

 

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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 11:23

Plus tard, elle a entendu nos pas dévaler la rue encore pavée jusqu'au boulevard, puis rien ne les a distingués du reste du monde. C’est aussi ce soir-là que nous avons vu Samuel pour la dernière fois.

 

Le lendemain, elle nous avait guettés depuis le matin. Elle avait laissé se perdre son déjeuner. Les livres qu'elle avait ouverts l'étaient restés, éparpillés. Elle appuyait ses mains sur les accoudoirs puis les serrait à en blanchir. Entendait-elle gronder au-delà de la rivière les canons dirigés sur le fort ? Des mouvements lui semblaient animer la ville basse. Ce n'était ni des chants ni des pas, mais une masse qui roule vers l'horizon.  Nous sommes venus, Jérôme et moi et nous avons passé notre temps à évoquer des scènes de barricades et de tranchées comme nous en avions vu à la télévision. Elle nous a parlé des Révolutions, et de la gloire dans ce qu'elle avait d'outrageant pour le vaincu comme pour le vainqueur.

 

Pas un instant la question ne s'était posée à nous de savoir si cette femme, arpentant la pièce, presque pâle, amaigrie soudain, et les jeunes gens emportés que nous étions décrivant la peur des autres, l'approche d'ennemis innommables, la fraîcheur de la nuit que nous avions passée à la belle étoile sur les pentes du toit, soutenaient une cause identique. Nous évoquions l'absence du garçon aux yeux de gazelle. Une immense lassitude de cette toute jeune guerre s'emparait de nous. Déjà nous manquait la liberté, alors que le collège n’était fermé  que depuis une semaine. Jérôme émit l'idée que bientôt il nous serait impossible de venir chez Hortense : on allait établir un couvre-feu, et la nuit tombait encore très tôt.

 

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11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 08:57

Ce soir-là, Jérôme a joué sur la table avec des oranges, qui ont roulé vers l’abîme… Elle a retenu l'une d'elles entre ses doigts et l’a portée à ses lèvres. Il a reculé comme s'il était entré par inadvertance. Elle n’a découvert la blessure de Samuel qu'un peu plus tard. En se glissant entre les haies pour nous rejoindre il avait été effleuré par une balle qu’on peut croire perdue. Sans un mot elle a lavé la plaie à l’eau oxygénée et l’a bandé, puis elle a passé son bras derrière ses épaules et l’a gardé un moment contre elle pendant que nous racontions.

 

Les choses s’étaient déroulées à leur habitude. Dehors, le vent frais décourageait les dernières fleurs. Une ombre semblait attendre près des grands arbres sur la colline. Comme si un sursis nous était accordé. De toutes les cheminées de la ville s'échappaient des fumées brunes : c'était là le signe habituel, des hommes se levaient et s'approchaient pour se serrer la main. Aucune promesse n'accompagnait leur départ. Et nous les enfants nous quittions nos parents chaque fois pour toujours, conscients de ne rien savoir les uns des autres.

 

Jusqu'à cet instant, les mouvements de la foule étaient restés discrets au point qu'elle n'aurait su dire avec quelle sorte de guerre cette ville était aux prises. Mais après notre récit, elle nous imaginait très bien nous faufilant de maison en maison. Ou bien empruntant des passages souterrains que seuls les enfants connaissent. Ou bien se cachant derrière les voitures et courant d'une porte à l'autre. La ville devait ressembler à un immense terrain vague, à un terrain de jeu, à un chantier de fouilles. Comme notre jeunesse lui paraissait joyeuse! Jusqu'à cette tache de sang et  jusqu’au visage défait de l’enfant.

 

Alors elle s’est mise à tourner sur elle-même en criant comme une folle: « enfin! enfin! »

 

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