Braudel cite le vieux prince Doria : (1468-1560 : "Il y a trois ports sûrs : Carthagène, juin et juillet." Il poursuit en citant Hésiode (lorsque vient l'hiver et que bouillonnent les souffles de tous vents, il faut tirer le vaisseau sur le rivage et travailler la terre). A Venise en 1569, on ne naviguait pas du 15 novembre au 20 janvier, et chez les Levantins on prenait la mer du 5 mai au 26 octobre.
La saison sur la Riviera correspondait à cet hiver-là, d'octobre à mai.
Vivre au bord de la Méditerranée, c'est donc longer la mer, bénéficier de ses vents, obéir à ses exigences. C'est la mer qui rejette l'homme sur ses rives, c'est de la mer que viennent les barbaresques à cause desquels on bâtit des perchoirs fortifiés, et non pas contre lesquels on lutte. Les habitants sont des fuyards qui reviennent le calme rétabli frayer avec les intrus. Toutes les races se mêlent. La Méditerranée n'est pas une frontière, c'est un sas. Ainsi, quand on habite une de ses villes portuaires, on a l'impression d'être en communication avec tous les peuples que les routes terrestres et maritimes convoient dans un va-et-vient incessant de conquêtes et de commerce.
Les mers intérieures se prolongent d'isthme en isthme, de porte en porte, confondant leurs légendes, mer Thyrrhénienne, Adriatique, Ionnienne, Archipel de Marmara, mer de Candie, mer Noire, mer d'Azov, du Levant... Les Golfes de Venise, de Salonique, d'Orfano, de Scalanova, de Mendelia, de Kos, d'Egine, de Nauplie, de Marathonisi, d'Arcadie, de Corinthe, d'Acta, de Drin, de Gênes, du Lion, tous les golfes de Corse et de Sardaigne, le golfe d'Oran, de Bougie, de Philippeville, de Tunis, d'Hammamet, de Gabès, d'Alexandrette, d'Adalia, de Karkinit....... Tous ces noms sonnent grec ou romain, comme si dans la découverte du monde, seul le regard de l'autre, de l'envahisseur, du découvreur, pouvait désigner, nommer.
Si la Chine s'est intitulée l'Empire du Milieu, la Méditerranée est son équivalent occcidental, l'autre pôle dont l'extrême étroitesse a déterminé le rayonnement. D'ici à là, d'Athènes à l'infini. Et tout lieu où le conquérant méditerranéen pose sa tente devient le point d'origine non pas du monde, mais de l'observation du monde. Jusqu'à l'Indus, Alexandre tend son regard au loin et sans détruire les dieux qu'il rencontre les intègre à son panthéon, se faisant élire dieu et empereur dans toutes les langues.