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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 09:45

Dans les années 60, un petit groupe de jeunes à peine sortis du lycée et la plupart habitant au-delà de Villefranche, avaient pour habitude de venir à Nice deux soirs par semaine. Le mercredi était jours de théâtre et le samedi jour de danse.
Etudiants de Sup de co, le refuge des fils de commerçants, ou filles à papa placées dans une boutique amie, ils découvraient avec stupeur Brecht, Kafka, Ibsen, Ionesco, Beckett et négligeaient dans un même haussement d'épaule et le cercle Molière et les tournées Karsenty, mais ne refusaient pas d'applaudir Qui a peur de Virginia Woolf quand il le fallait au Casino de la Méditerranée. A la sortie il rejoignaient les acteurs qui se retrouvaient à la Malinka dans le quartier aujourd'hui culturellement désaffecté de Saint Philippe. Sur des tabourets de bois, dans l'ambiance d'une datcha reconstituée en sous-sol, régnait Mania, une authentique Russe, et son fils. Nous y restions jusqu'au milieu de la nuit. La vodka et l'alcool de cerise accompagnaient des jeux d'allumettes et notamment celui auquel se livrait Pitoeff dans  l'œuvre de Resnais-Robbe-Grillet l'Année dernière à Marienbad. La troupe s'appelait Les Vaguants, elle siégeait au Club Antonin Artaud de la rue Alberti et fut dissoute fin 69 . Bien des Niçois ont participé à ses mises en scène.Le directeur de la troupe, Michel Hart, sous-employé au Théâtre de Nice, le cube de Gabrie Monnet,  après avoir fait flamber Richard III ou Godot, partira pour Paris. Des acteurs niçois, seules les soeurs Boeri feront carrière, Martine écrivant et Eliane interprétant Les 3 Jeanne, avec Chantal Pelletier et Eva Darlan.


On a oublié les caves du Mercury dans lesquelles avaient prété serment les Chevaliers du Glaive, et si on aime la place Garibaldi on néglige de connaître les méandreux sous-sols où se cachaient les comploteurs de l'extrême droite.
Un soir, en 1967, j'avais entraîné une amie plutôt réactionnaire et nous nous retrouvées toutes les deux seules, dans la salle destroy où on projetait Loin du Vietnam.
réalisé par : Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Agnès Varda, les images étaient de C. Marker, M. Ray, R. Pic, M. Loridan, F. Maspero, J. Sternberg, J. Lacouture et le son de M. Fano, M. Chapdenat, G. Aperghis (dont nous découvrirons le travail aux Manca dans les abbées 2000) Loin du Viêt-Nam” estun film collectif qui rassemble des cinéastes aussi différents que Jean-Luc Godard, Alain Resnais, William Klein, Claude Lelouch, Agnès Varda, Joris Ivens et Marceline Loridan, pour alerter l'opinion publique française et internationale sur ce qui se passe au Viêt-Nam.

Les trois rangées de fauteuils du haut étaient occupées par une noce. Les hommes laissaient avantageusement dépasser leur ventre. Ils devaient sortir de table et la plupart sommeillaient. A Nice, c'était pour ce public incertain que Chris Marker avait convaincu un petit groupe de cinéastes engagés. J'entends encore les bombardiers, je vois tomber indéfiniment le napalm, la voix de Goddard me tire des larmes. Ca changeait de Masculin-féminin, de Marienbad et même de Galia. Un souffle universel risquait de balayer nos libertés si nous ne nous mêlions pas. Nous sommes sorties retrouver la deuche dans les contre-allées. Le féminisme, l'espoir d'une jeunesse dégagée des ambitions bourgeoises pouvaient ainsi se conjuguer avec le pacifisme et l'anticolonialisme. Dans ma famille, on était ciné on n'était pas télé. On y avait échappé. On allait deux fois par semaine, rêver en technicolor dans la jolie salle du casino de Beaulieu  et taper des pieds en noir et blanc dans le vieux cinéma en compagnie des ouvriers.
Et cependant, isolée sur la presqu'île, juste soumise aux discours de la radio, je me tenais à distance de cette grande ville qui ne m'accueillait qu'à la nuit tombée pour les mercredis de théâtre et les samedis de dancing.

Je me souviens qu'un après-midi pluvieux de Pâques 1958, nous nous étions réfugiés en 60 au Cinéac, une salle de l'avenue de la Victoire comme s'appelait alors l'avenue Jean Médecin, toute la famille, des copains de mes parents pour un western,  Le Gaucher d'Arthur Penn, où Paul Newmann jouait la mort de Billy the Kid. J'avais relevé je ne sais où ce témoignage  :

"Tous les interprètes, y compris Newman, se sont intéressés à ce film comme à une expérience inusitée. Ils ont insisté pour répéter longuement et sans cachet, avant le début du tournage. Comme s'était contraire aux lois syndicales, il fallait se cacher.  Le Gaucher est le premier film de Arthur Penn. Il obtient des studios de la Warner Bros., un budget très limité. Penn utilise pour le tournage, un décor de village mexicain qui a été construit 20 ans plus tôt pour un autre film (Juarez) : Chaque décor du film était un vieux décor, mais je dois dire que je fus très content du résultat final, grâce justement à cette qualité des choses déjà usées.

 Billy le kid (joué par Paul Newman), était un véritable héros de la légende du western. Le jeu de Newman, tour à tour dangereux et blagueur, fasciné par sa propre notoriété et inconscient contribue avec la mise en scène moderne, à ces ruptures de ton qui font du Gaucher un film inhabituel dans le monde du western.
 Arthur Penn s'est vu imposé la fin du film par le studio, il décrit lui-même celle qu'il envisageait :  Billy était mort et après le coup de feu, il y avait un grand silence, il faisait très sombre. Moultrie était là dans un coin avec un mouchoir sur la bouche. A une fenêtre, apparaissait l'armurier et sa femme. Il y avait aussi le shérif. Puis dans un coin du cadre apparaissait une lumière, une bougie, une femme vêtue de noir sortait d'un porche. Elle était suivie d'une autre femme puis d'une autre... Il y en avait une quarantaine... Elles venaient de plusieurs angles du cadre, et au fur et à mesure qu'elles avançaient nous élargissions jusqu'à en avoir le maximum. C'était la fin du film. Je voulais montrer, par cette fin, les liens entre Billy et le peuple mexicain. La Warner n'a pas aimé cette fin et l'a fait sauter." 

 

Nous ignorions que l'un des membres de la Cagoule était justement un placier dans ce cinéma dans les années 30. La salle était pleine ce dimanche de Pâques, nous nous étions dispersés. Aux actualités, la Guerre d'Algérie. La salle s'emballe. J'entends des voix connues qui en interpellent d'autres. Ma famille est gaulliste, pour l'Algérie française. Je suis assise en fin de rang entre mon père et un inconnu. Je porte une robe bleue et mes premiers talons. Les mains de l'homme sur mes genoux, qui remontent ma jupe. Je sais que si je parle mon père va intervenir, je pressens une bagarre d'autant plus vive que les esprits se sont échauffés. Je laisse le mec avancer, je pose mon pied sur le sien et soudain je me dresse et je fais pivoter lourdement mon talon sur son pied avant de me rasseoir en silence. Mon agresseur se lève et part. Je n'en dis rien à personne. J'ai quatorze ans, je sais déjà qu'il ne faut rien attendre des adultes, qu'il faut les protéger.

Le grand jeu, c'est de repérer dans les films les scènes qui se passent à Nice, même si on est loin de penser au nombre de tournages qui firent de cette ville une capitale cinématographique. Tout le monde a en mémoire le tireur fou et la course de Trintignan sur le Port de Nice, et pour chacun la Victorine évoque cette Nuit américaine qui sert de véritable intronisation à l'art cinématographique. Combien de leçons de cinéma nous ont été dispensées par la Nouvelle vague ! Il y avait un cinéma rue Masséna, devenu une marchand de chaussures, qui servait de salle d'art et d'essais. Même dans ces conditions, aller voir en 66 L'Année dernière à Marienbad (Resnais), ou Masculin-Féminin (Godard) relevait de la provocation. Une partie des spectateurs rigolait, l'autre maugréait. Nous étions si peu de jeunes gens avides de ce cinéma-vérité comme on disait, avides d'envier la jeune Galia ( Georges Lautner, 1965), avides de sortir en larmes de THEOREME
(Pier Paolo Pasolini, 1968)


A Nice, le cinéma faisait recette dans tous les quartiers. Certain, monumental, décoré de peplums, occupait le rez-de chaussé d'un immeuble époustouflant de l'avenue Durante, surmonté d'un étrange belvédère où des décorateurs ont installé un appartement, qui s'enroule comme un escargot autour de son dôme. La Promenade des anglais a conservé la grande salle en gradins où nous étions allés voir un film américain en noir et blanc dans lequel une jeune fille se faisait violer dans la voiture de son père. Plus tard, bien plus tard, devenu un fast-food, l'artiste Ben y organisa des événements tandis que dans la salle le public chargé de plateaux-repas avalait des hamburgers. Les cinémas de notre jeunesse niçoise ont ravagé nos coeurs comme dans toutes les villes. On s'amuse à en repérer les vestiges. Tout le monde s'exclame ah! le Tivoli, le Studio 34, le Paris-Palace où les enfants passaient l'après-midi du 24 décembre avec leurs grands-parents pour permettre aux parents de dresser l'arbre de Noël. Sur scène, ces jours tristes de décembre, on applaudissait maigrement les dernières apparition d'un monde de bateleurs. En sortant sur l'avenue sans illuminations, on pouvait encore boire un chocolat au Café de Lyon avant d'aller à petits pas jusqu'au 35 rue Rossini dans l'appartement étroit et silencieux attendre l'arrivée de la voiture.

Le cinéma c'était comme toujours le refuge des familles, une façon d'échapper ensemble à l'éclatement des querelles. On se concertait du regard : et si on allait au cinéma ? Et si on sortait de là. Et si on oubliait quelques heures l'angoisse pour d'autres angoisses. Une cigarette qu'on allume ensemble sur le trottoir, un esquimau, un paquet de bonbons à la menthe, au chocolat, enrobés d'un papier spécial-silence, un caramel qui colle, on continue à les sucer sur le chemin du retour. Les gens du quartier se connaissent, font parfois route ensemble, échangent leurs impression. Chacun emporte avec soi un visage, une réplique dont il rabâchera le souvenir. Qui l'aidera à supporter la nuit. Ils sont sortis tous les deux en amoureux pour une fois. Une tante garde les enfants. Quand ils rentreront ils trouveront la table mise pour un souper froid, quelques fleurs déposées dans un verre. Et au matin, surprise ! tout est intact. Comment auraient-ils seulement pu avaler quelque chose avec dans la gorge la voix sublime d'Emmanuelle Riva, les images d'Iroshima mon amour ? D’Alain Resnais et Marguerite Duras (1959)

Tout cela, et tant d'autres grands films qui ont jeté les bases d'un imaginaire mais surtout comme une philosophie sociale et politique, une façon de voir le monde non pas en technicolor mais comme il est effectivement : noir et blanc.
   


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