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14 mai 2012 1 14 /05 /mai /2012 15:32

Jusqu’à la grande guerre, les femmes portent dans des paniers le linge d'autrui, elles font la navette entre les maisons louées aux étrangers, les hôtels, et leurs appartements minuscules et sombres entassés derrière les façades colorées de la vieille ville, au pied du château, à peine préservées des miasmes du fleuve torrentueux par des remparts qui déjà abattus deviennent les hautes maisons longeant le boulevard Jean-Jaurès. Elles ont toujours vendu le poisson péché pendant la nuit, parfois au lamparo, ce substitut de la pleine lune maintenant interdit.

Pour toujours, certaines nuits gardent leur pouvoir. La seule euphorie d'une rencontre extraordinaire. C'était l'automne. J'ai retiré mes chaussures à talons pour être à sa hauteur et nous avons déambulé jusqu'à nous retrouver à Rauba Capéu, dégotter un petit escalier caché dans le rocher et déboucher sur une petite grotte à quelques mètres au-dessus de la mer. Un lieu secret de Nice. Connu certainement et même préservé par toute une théorie d'amants et d'anciens amants. Nous sommes restés une partie de la nuit suspendus entre sensations et sentiments. Puis nous sommes remontés lentement par la Promenade déserte vers la rue Masséna et nous sommes allés à la Chunga manger des scampis parmi les danseurs qui  surgissaient de la cave pour reprendre des forces à quatre heures du mat.
Il faudrait dans cette ville amoureuse enquêter sur le thème : quels lieux discrets pour vos ébats ? Pourquoi pas entre les racines des arbres de l'étang au Parc Valrose ?

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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 09:31

Piloter des étrangers dans la vieille ville au mois d'août, les entraîner par l'un des escaliers qui montent au château et sont tous dédiés à un poète, et une fois là-haut, épuisés, transpirants, on les attire sous la cascade, dans l'atmosphère brumeuse de la grotte artificielle.

 

Un jour pluvieux de Pâques nous avons acheté un pan-bagnat dans la rue Mascoïnat et nous sommes allés nous asseoir sur les gallets, sous un parapluie, faire des ricochets, contempler de la rampe des Ponchettes une eau grise que rasaient les oiseaux marins. Le pointu qui longe chaque matin la côte de son moteur deux-temps semblait dessiner en pointillé la traîne de ses filets. Nous avions inventé pour notre amie allemande un court périple niçois qui nous avait d'abord conduits sur les nouveaux espaces du Paillon. C'était une façon de dominer les deux villes, l'ancienne et la nouvelle, entre lesquelles nous passions notre temps à faire le grand écart.


Longeant les quais disparus sous des piles de béton et des trames de métal, bouillonnait le flot des voitures d'amont en aval. Depuis un siècle on s'ingéniait à cacher ce flot d'ordures nommé Paillon, d'abord par l'abolition de son delta devenu jardin Albert 1er, des années plus tard en installant un palais des expositions, et tout en attendant la fameuse crue centennale, un parking, un palais des congrès, un théâtre, un musée d'art moderne, un lycée, une grande médiathèque. Sur sa couverture, on avait d’abord préfiguré un Théâtre semblable à un cube, transformable,, détruit dans les années soixante pour abouter les perspectives gauchies par l'anse du fleuve avant son effondrement dans la mer, notable, c'est bien cela, au perpétuel mouvement des oiseaux marins....

Remplacer le lit du Paillon par un mur de béton brut ne s'était pas réalisé sans mal. Bien que nous soyions alors intrigués par les travaux dressant d'immenses poutrelles de fer forgées à Strasbourg devant un peuple de badauds grandiloquents, qui dirigeaient depuis les rives les engins, hurlant en Niçois des ordres aux grutiers, nous sentions comme une erreur terrible ce que les pouvoirs nous vendaient au nom de la modernité. Plus encore que l'esthétique du projet, il s'agissait de son pouvoir de vieillissement. Cependant, il était aisé alors de grimper en ascenseur sur la passerelle où un petit restaurant intitulé Le Cube servait des spécialités hongroises, de marcher au-dessus des voitures, et de rejoindre de cette façon chaque jour la place Masséna et la Gare Routière. Les autorités, toujours en veine d'offrir des divertissements, y avaient construit des lieux en dur pour jouer aux échecs. Mais en deux ans, il ne fut plus question de s'y promener. L'ascenseur tomba en panne. Des agressions mirent fin aux promenades des femmes et des vieillards.  Reste que cet espace allongé entre deux eaux accueillait les activités sportives des lycées, et les exercices de l'école de batterie qui bombardaient les passants du boulevard Félix Faure.
 
La dégénérescence du parking au béton calamiteux avec ses fers rouillés et et ses jardins qui tantôt dégoulinent tantôt périclitent, nous ferait presque chanter l’alerte devenue espérance:
Lu Pailloun ven, lu Pailloun ven...

Mais ce sont maintenant les arbres abattus, et le tramway qui cisaille la rive.

Lu Pailloun ven, lu Pailloun ven... Des hommes à cheval parcourent la rive, alertant les bugadiaires....

 

Nous attendons cette coulée verte qui déjà par bonheur ravive les perspectives, et nous rend la vieille ville.

 

Les dictats économiques sous-tendent certainement depuis des années les raisons esthétiques évoquées par les concepteurs pour faire de cette ville rose et jaune, et ocre, et blanche une cité minérale, grise, au rabais puisque les pavés de marbre venus en conteneurs de Chine, voici quelques deux ans, se dégradent déjà, et qu'on remplace laborieusement parce qu'il glisse de toute sa heuteur, celui plus ancien des façades, par un autre forcément gris lui aussi, mais d'une laideur terrible, comme une vieille salle-de-bain que des mains indigentes voudraient restaurer. Et cet ocre orangéjaune dont ils ont paré la bienvenue restauration du Palais de l'Agriculture, la couleur préférée semble-t-il de l'Architercte des Bâtiments de France. Quid de nos ocres en camaïeu qui laissent la main à la pluie et au beau temps dont le temps parfait le nuances ?

 

 

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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 18:03

En été 1971, la terrasse du Provence était bondée, de ce public bon enfant, plus de vieux que de jeunes, qui aime s'attarder aux abords des gares routières, s'amusant des manœuvres rendues difficiles par l'étroitesse des couloirs, deux seulement, posés le long de l'ancien casino. Le marchand de journaux accrochait le regard avec les premiers numéros d'une presse considérée comme underground, dont je parlerai plus tard.


On ignorait que trente ans nous séparaient à peine des grandes foules (on écrit 70 000 personnes) qui s'entassaient aux fêtes que Darnand organisait en l'honneur de Pétain dans ce même casino aujourd'hui voué à la destruction, et sur cet emplacement, en 2000 on fait du skate.


Dans les caves déjà condamnées du Provence, on préférait imaginer les spectacles que donnaient voici un an, les artistes locaux, Daniel Biga et le groupe Fluxus de Nice, et dont avaient eu raison quelques soupçons de trafics de drogue. Aujourd'hui, le Provence était un café un peu sale, avec ses banquettes bordeaux le long des miroirs, son bar et ses toilettes bien connues à cause des trous qui ajouraient subrepticement ses portes afin de laisser les indiscrets y coincer les femmes accroupies.

 


Nous étions au mois de juin, il faisait très beau et le dernier bus pour Cap Ferrat partirait bientôt.
La jeune femme qui cherchait du regard une chaise portait un ensemble tilleul, une longue jupe en biais et un boléro découvrant un peu de ses rondeurs. Deux jeunes hommes l'interpellèrent et lui offrirent une place entre eux. L'un était artiste et l'autre pas. Celui-ci avait du sang vietnamien, des yeux légèrement bridés sous ses lunettes. Ni beau ni laid. Brun, petit. Souriant. Moins que l'autre avec sa tignasse aux reflets rouges, élancé, élégant lorsqu'il avançait les bras hors d'un pull trop court. Des hommes différents, qui ne draguaient pas outrageusement, mais parlaient avec un ton de liberté hors du commun. Comme s'ils n'avaient aucune entrave. Partir, venir, inviter, refuser, voilà qui ne posait aucun problème. On les aurait dits déposés d'une planète étrangère; comme ça, en fin d'après-midi, à Nice, sans passé ni futur. De simples humains que rien d'humain ne laissait indifférents.


La jeune femme sentit immédiatement que cet esprit de liberté la gagnait. Les bus pour Saint Jean se succédèrent jusqu'au dernier sans qu'elle fit un geste pour les rejoindre. Son père la klaxonnant dans son américaine blanche décapotable ne lui aurait pas fait lever les yeux. Elle n'imaginait ni comment quitter ce café ni où aller, ayant en quelque sorte entre leurs mains remis son esprit selon la belle formule de Montherlant.


Quelle fascination, et à quel propos ? Presque rien. Des noms qui fusent. Warhol, Breton, Klein. Des notions : la transparence, l'orange, la ville. Une entière disponibilité à ce qui va advenir. Voilà comment on fait basculer sa vie.
Patrick et Michel. Deux hommes entièrement différents, un intellectuel et un hédoniste. Entre eux, de l'écoute, des silences, des gestes amicaux. La pudeur des  sentiments masculins. On ne s'avoue ni amour ni désir. On marche à deux ou à trois en agitant les bras pour montrer des images capturées dans une vitre, dans un miroir. On lit dans le regard de l'autre son approbation, son admiration. Des regards qui se cherchent et aboutissent à un portrait entièrement imaginaire. Le théâtre de la vie, chacun acteur et observateur. La longue traînée que laisse ton manteau jaune sur la rétine du passant équivaut à une oeuvre picturale, éphémère ou éternelle selon l'état de celui qui l'aura reçue, je veux dire accomplie.


Le Provence pour quelques uns, c'était la table d'hôtes, le living-room d'une maison qu'ils n'avaient pas. Gilbert François s'installait face aux miroirs et travaillait ses expressions sans rire tandis que ses amies jouaient à intercepter son image pour l'empêcher de se voir. Il notait les grandes lignes de sketches qui allaient faire de lui l'un des acteurs les plus enjoués du nouveau théâtre de Nice, sous le regard de Gabriel Monnet et de son emblématique totem, forgé pour lui par Calder et nommé Caliban II. Aux jeunes de sa troupe, Monnet allait offrir la liberté d'un spectacle de sketches intitulé Radio Caroline en l'honneur de cette fameuse radio-offshore de Ronan O'Rahilly installée dans les eaux internationales au large de l'Angleterre sur un navire émetteur depuis Pâques 1964.

 

Le théâtre-off niçois se réunit là souvent dans les années 70, notamment sous la houlette de Paul et Marie-Jeanne Laurent. Charles Tinelli, écrivain de théâtre et metteur en scène, y donne ses rendez-vous pour préparer sa pièce "Jacques l'éventreur" avant que toute la troupe file en G7 vers Saint Jeannet où les attend Gisèle Tavet, LA Gigi du Grand Cirque, toujours îvre, mais de champagne.


Lorsque tout le pâté de maison va se trouver en travaux depuis la place Masséna jusqu'à la rue Alberti,  le Félix achète le Provence et s'y installe  emportant sa propre clientèle bcbg, Fahri, César, les trafics des fils à papa et les michetons, alors qu'on construit le Pont Neuf à leur place. La gare routière  se faufile dans l'ensemble des parkings du Paillon et les artistes font le grand écart en se réunissant sur la place du Palais de Justice, au Pastrouil ou à la Civette. Il s'agit d'une autre génération. Paris a encore ponctionné la province, laquelle a été incapable de donner un espace à ses créateurs. Le théâtre s'est expatrié. Monnet a quitté Nice. Les directeurs suivants ont à coeur de se promouvoir. Exit Radio Caroline, exit l'intégration des acteurs locaux. Le cercle Molière continue cahin caha derrière un Bernard Fontaine plus théâtreux que jamais, joueur invétéré au cercle de bridge de l'Artistique. Le talent de Numa Sadoul leur reste étranger, l'Opéra de Nice le dédaigne quand Lille, Bordeaux, Marseille l'applaudissent.

 

En 1979 le Salon du Livre périclite, la ville retombe dans ses propres rets. L'idée d'une révolution intellectuelle avait fait long feu  même si en 1981 une foule importante s'était amassée place Masséna pour acclamer l'arrivée de la gauche au pouvoir, et malgré les sursauts de l'Association pour la Démocratie à Nice, nous savions que Nice resterait cette petite ville en bas à droite, aux frontière italiennes, à l'Est.


Que vont devenir nos personnages pendant ces décennies ?
Il ont face à eux la résistance, le départ, l'ancrage et sa mémoire, ou le désespoir. (à suivre)

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11 mai 2012 5 11 /05 /mai /2012 08:57

Frondaisons ! Pâtisseries ! Forgeries ! Plan incliné qu'il faut emprunter pour gravir les siècles vers Cemenelum ! Vastes grilles que l'on interroge du regard, entre les lacets desquelles on entreverrait bien des châteaux, on entrevoit parfois des perrons et des colonnes ! Une route privée, cela s'entend, une saignée entre des propriétés immenses, que les arcanes de la finance et de la politique ont pratiquée pour que, marchant sur ses trottoirs encore bruissants à l'automne, nous sachions avec qui nous nous promenons. Ceux que nous croisons sont anglais et russes. Dans un instant nous atteindrons la statue souveraine où pour toujours Victoria laisse les femmes de Nice déposer des fleurs dans ses mains. Encore trois pas pour rêver que l'on habite au Régina.

Avant Rome Bruxelles ou Schladming, l'Europe s'est faite ici, du regard mitoyen que portaient l'Impératrice des Indes et le Tsar de toutes les Russies sur la rade de Villefranche. Transporter tout un gouvernement par train spécial depuis Londres, n'était-ce pas audacieux sans fax ? Est-ce que cela ne fait pas rêver ? N'imagine-t-on pas d'installer, dans un de ces palais revisités, j'allais dire reconquis, le consulat privé d'une de ces multinationales qui valent bien un Etat . Sur la plaque en cuivre, une adresse : InternationalCorp@Cimiez.fr .

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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 09:45

Dans les années 60, un petit groupe de jeunes à peine sortis du lycée et la plupart habitant au-delà de Villefranche, avaient pour habitude de venir à Nice deux soirs par semaine. Le mercredi était jours de théâtre et le samedi jour de danse.
Etudiants de Sup de co, le refuge des fils de commerçants, ou filles à papa placées dans une boutique amie, ils découvraient avec stupeur Brecht, Kafka, Ibsen, Ionesco, Beckett et négligeaient dans un même haussement d'épaule et le cercle Molière et les tournées Karsenty, mais ne refusaient pas d'applaudir Qui a peur de Virginia Woolf quand il le fallait au Casino de la Méditerranée. A la sortie il rejoignaient les acteurs qui se retrouvaient à la Malinka dans le quartier aujourd'hui culturellement désaffecté de Saint Philippe. Sur des tabourets de bois, dans l'ambiance d'une datcha reconstituée en sous-sol, régnait Mania, une authentique Russe, et son fils. Nous y restions jusqu'au milieu de la nuit. La vodka et l'alcool de cerise accompagnaient des jeux d'allumettes et notamment celui auquel se livrait Pitoeff dans  l'œuvre de Resnais-Robbe-Grillet l'Année dernière à Marienbad. La troupe s'appelait Les Vaguants, elle siégeait au Club Antonin Artaud de la rue Alberti et fut dissoute fin 69 . Bien des Niçois ont participé à ses mises en scène.Le directeur de la troupe, Michel Hart, sous-employé au Théâtre de Nice, le cube de Gabrie Monnet,  après avoir fait flamber Richard III ou Godot, partira pour Paris. Des acteurs niçois, seules les soeurs Boeri feront carrière, Martine écrivant et Eliane interprétant Les 3 Jeanne, avec Chantal Pelletier et Eva Darlan.


On a oublié les caves du Mercury dans lesquelles avaient prété serment les Chevaliers du Glaive, et si on aime la place Garibaldi on néglige de connaître les méandreux sous-sols où se cachaient les comploteurs de l'extrême droite.
Un soir, en 1967, j'avais entraîné une amie plutôt réactionnaire et nous nous retrouvées toutes les deux seules, dans la salle destroy où on projetait Loin du Vietnam.
réalisé par : Alain Resnais, Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Agnès Varda, les images étaient de C. Marker, M. Ray, R. Pic, M. Loridan, F. Maspero, J. Sternberg, J. Lacouture et le son de M. Fano, M. Chapdenat, G. Aperghis (dont nous découvrirons le travail aux Manca dans les abbées 2000) Loin du Viêt-Nam” estun film collectif qui rassemble des cinéastes aussi différents que Jean-Luc Godard, Alain Resnais, William Klein, Claude Lelouch, Agnès Varda, Joris Ivens et Marceline Loridan, pour alerter l'opinion publique française et internationale sur ce qui se passe au Viêt-Nam.

Les trois rangées de fauteuils du haut étaient occupées par une noce. Les hommes laissaient avantageusement dépasser leur ventre. Ils devaient sortir de table et la plupart sommeillaient. A Nice, c'était pour ce public incertain que Chris Marker avait convaincu un petit groupe de cinéastes engagés. J'entends encore les bombardiers, je vois tomber indéfiniment le napalm, la voix de Goddard me tire des larmes. Ca changeait de Masculin-féminin, de Marienbad et même de Galia. Un souffle universel risquait de balayer nos libertés si nous ne nous mêlions pas. Nous sommes sorties retrouver la deuche dans les contre-allées. Le féminisme, l'espoir d'une jeunesse dégagée des ambitions bourgeoises pouvaient ainsi se conjuguer avec le pacifisme et l'anticolonialisme. Dans ma famille, on était ciné on n'était pas télé. On y avait échappé. On allait deux fois par semaine, rêver en technicolor dans la jolie salle du casino de Beaulieu  et taper des pieds en noir et blanc dans le vieux cinéma en compagnie des ouvriers.
Et cependant, isolée sur la presqu'île, juste soumise aux discours de la radio, je me tenais à distance de cette grande ville qui ne m'accueillait qu'à la nuit tombée pour les mercredis de théâtre et les samedis de dancing.

Je me souviens qu'un après-midi pluvieux de Pâques 1958, nous nous étions réfugiés en 60 au Cinéac, une salle de l'avenue de la Victoire comme s'appelait alors l'avenue Jean Médecin, toute la famille, des copains de mes parents pour un western,  Le Gaucher d'Arthur Penn, où Paul Newmann jouait la mort de Billy the Kid. J'avais relevé je ne sais où ce témoignage  :

"Tous les interprètes, y compris Newman, se sont intéressés à ce film comme à une expérience inusitée. Ils ont insisté pour répéter longuement et sans cachet, avant le début du tournage. Comme s'était contraire aux lois syndicales, il fallait se cacher.  Le Gaucher est le premier film de Arthur Penn. Il obtient des studios de la Warner Bros., un budget très limité. Penn utilise pour le tournage, un décor de village mexicain qui a été construit 20 ans plus tôt pour un autre film (Juarez) : Chaque décor du film était un vieux décor, mais je dois dire que je fus très content du résultat final, grâce justement à cette qualité des choses déjà usées.

 Billy le kid (joué par Paul Newman), était un véritable héros de la légende du western. Le jeu de Newman, tour à tour dangereux et blagueur, fasciné par sa propre notoriété et inconscient contribue avec la mise en scène moderne, à ces ruptures de ton qui font du Gaucher un film inhabituel dans le monde du western.
 Arthur Penn s'est vu imposé la fin du film par le studio, il décrit lui-même celle qu'il envisageait :  Billy était mort et après le coup de feu, il y avait un grand silence, il faisait très sombre. Moultrie était là dans un coin avec un mouchoir sur la bouche. A une fenêtre, apparaissait l'armurier et sa femme. Il y avait aussi le shérif. Puis dans un coin du cadre apparaissait une lumière, une bougie, une femme vêtue de noir sortait d'un porche. Elle était suivie d'une autre femme puis d'une autre... Il y en avait une quarantaine... Elles venaient de plusieurs angles du cadre, et au fur et à mesure qu'elles avançaient nous élargissions jusqu'à en avoir le maximum. C'était la fin du film. Je voulais montrer, par cette fin, les liens entre Billy et le peuple mexicain. La Warner n'a pas aimé cette fin et l'a fait sauter." 

 

Nous ignorions que l'un des membres de la Cagoule était justement un placier dans ce cinéma dans les années 30. La salle était pleine ce dimanche de Pâques, nous nous étions dispersés. Aux actualités, la Guerre d'Algérie. La salle s'emballe. J'entends des voix connues qui en interpellent d'autres. Ma famille est gaulliste, pour l'Algérie française. Je suis assise en fin de rang entre mon père et un inconnu. Je porte une robe bleue et mes premiers talons. Les mains de l'homme sur mes genoux, qui remontent ma jupe. Je sais que si je parle mon père va intervenir, je pressens une bagarre d'autant plus vive que les esprits se sont échauffés. Je laisse le mec avancer, je pose mon pied sur le sien et soudain je me dresse et je fais pivoter lourdement mon talon sur son pied avant de me rasseoir en silence. Mon agresseur se lève et part. Je n'en dis rien à personne. J'ai quatorze ans, je sais déjà qu'il ne faut rien attendre des adultes, qu'il faut les protéger.

Le grand jeu, c'est de repérer dans les films les scènes qui se passent à Nice, même si on est loin de penser au nombre de tournages qui firent de cette ville une capitale cinématographique. Tout le monde a en mémoire le tireur fou et la course de Trintignan sur le Port de Nice, et pour chacun la Victorine évoque cette Nuit américaine qui sert de véritable intronisation à l'art cinématographique. Combien de leçons de cinéma nous ont été dispensées par la Nouvelle vague ! Il y avait un cinéma rue Masséna, devenu une marchand de chaussures, qui servait de salle d'art et d'essais. Même dans ces conditions, aller voir en 66 L'Année dernière à Marienbad (Resnais), ou Masculin-Féminin (Godard) relevait de la provocation. Une partie des spectateurs rigolait, l'autre maugréait. Nous étions si peu de jeunes gens avides de ce cinéma-vérité comme on disait, avides d'envier la jeune Galia ( Georges Lautner, 1965), avides de sortir en larmes de THEOREME
(Pier Paolo Pasolini, 1968)


A Nice, le cinéma faisait recette dans tous les quartiers. Certain, monumental, décoré de peplums, occupait le rez-de chaussé d'un immeuble époustouflant de l'avenue Durante, surmonté d'un étrange belvédère où des décorateurs ont installé un appartement, qui s'enroule comme un escargot autour de son dôme. La Promenade des anglais a conservé la grande salle en gradins où nous étions allés voir un film américain en noir et blanc dans lequel une jeune fille se faisait violer dans la voiture de son père. Plus tard, bien plus tard, devenu un fast-food, l'artiste Ben y organisa des événements tandis que dans la salle le public chargé de plateaux-repas avalait des hamburgers. Les cinémas de notre jeunesse niçoise ont ravagé nos coeurs comme dans toutes les villes. On s'amuse à en repérer les vestiges. Tout le monde s'exclame ah! le Tivoli, le Studio 34, le Paris-Palace où les enfants passaient l'après-midi du 24 décembre avec leurs grands-parents pour permettre aux parents de dresser l'arbre de Noël. Sur scène, ces jours tristes de décembre, on applaudissait maigrement les dernières apparition d'un monde de bateleurs. En sortant sur l'avenue sans illuminations, on pouvait encore boire un chocolat au Café de Lyon avant d'aller à petits pas jusqu'au 35 rue Rossini dans l'appartement étroit et silencieux attendre l'arrivée de la voiture.

Le cinéma c'était comme toujours le refuge des familles, une façon d'échapper ensemble à l'éclatement des querelles. On se concertait du regard : et si on allait au cinéma ? Et si on sortait de là. Et si on oubliait quelques heures l'angoisse pour d'autres angoisses. Une cigarette qu'on allume ensemble sur le trottoir, un esquimau, un paquet de bonbons à la menthe, au chocolat, enrobés d'un papier spécial-silence, un caramel qui colle, on continue à les sucer sur le chemin du retour. Les gens du quartier se connaissent, font parfois route ensemble, échangent leurs impression. Chacun emporte avec soi un visage, une réplique dont il rabâchera le souvenir. Qui l'aidera à supporter la nuit. Ils sont sortis tous les deux en amoureux pour une fois. Une tante garde les enfants. Quand ils rentreront ils trouveront la table mise pour un souper froid, quelques fleurs déposées dans un verre. Et au matin, surprise ! tout est intact. Comment auraient-ils seulement pu avaler quelque chose avec dans la gorge la voix sublime d'Emmanuelle Riva, les images d'Iroshima mon amour ? D’Alain Resnais et Marguerite Duras (1959)

Tout cela, et tant d'autres grands films qui ont jeté les bases d'un imaginaire mais surtout comme une philosophie sociale et politique, une façon de voir le monde non pas en technicolor mais comme il est effectivement : noir et blanc.
   


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8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 11:33

" Elle vit la ville s'arrondir et se mobiliser. Elle la vit se dérouler sous le brasillement des lampadaires mauves. Elle la vit allumer ses dômes et ses cascades. Elle dénombra ses enseignes. Elle crut qu'elle

allait vibrer comme ça toute la nuit, qu'il n'y aurait pas de repos, que les cinémas seraient pleins, que les cafés regorgeraient de clients, qu'on danserait sur les places un MP3 pour deux afin de préserver le

silence de la nuit, que les fontaines jailliraient encore plus haut, qu'on monterait l'avenue Jean Médecin

pour la redescendre le long des vitrines illuminées, que certaines boutiques seraient ouvertes, qu'on irait essayer des bières dans des bistrots excentrés, manger de la socca à deux heures chez Pipo. Elle était

prête à passer la nuit, toute cette nuit tiède à arpenter la ville, à faire des rencontres, à rire et à discuter.

Elle disait " C'est une ville faite pour ça, je le sens, pour la fête !"

Quand ils sortirent du restaurant, il était minuit, elle entendit grincer le rideau de fer sur leurs talons.

Les dernières séances n'étaient pas terminées mais les enseignes des cinémas étaient éteintes.

On vidait les brasseries. Ils fuirent les paumés des cafés autour de la gare et rejoignirent la rhumerie

la vieille ville. Le fait de savoir que c'était le seul lieu ouvert les attristait. Des réverbères tentaient

d'éclairer la place trop vaste, trop grise, dont les stylites commeillaient sur leur mât pour quelques

passants, des bagnoles sono à bloc, le dernier noctambus partait pour la banlieue. Entre deux verres on parlait bas en se pressant. A trois pas on perdait pied, quelques fenêtres nous rappelaient que des habitants soignaient leur insomnie devant un dvd dont la lumière bleue rivalisait avec les feux clignotant, ou mouraient tout seuls dans leurs petits appartements encobrés de souvenirs, de ce qui allait devenir des déchets."(2012)

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 08:49

Elle disait encore : dans cette ville que j'aime, avec les gens que j'aime, je suis devenue celle que je suis. Qu'est-ce à dire ? Seraient-ce les palmiers ? Les odeurs ? La théorie des bleus ?

L'excitation due au climat ? Les panoramas qui sans cesse nous sont offerts sans être obligés de

monter aux terrasses des buildings ? Elle tournoyait, embrassant tout cela et riant.

 

Découvrir une ville c'est la parcourir à pied, en tous sens, en prendre la mesure en toute saison,

l'arpenter des jours durant, avide de s'y situer, de voir comme elle nous sied,

telle une robe qui s'enlace aux chevilles. Il faut y danser solitairement, y prendre peur,

en éprouver l'horreur. Il faut la défendre et la combattre.

On peut dans un premier temps ne pas rencontrer ses habitants.

 

 

"A la fermeture on leur indiqua un bistrot ouvert au Cours Saleya. Ils hésitèrent à cinq heures entre un poulet basquaise et un grand crème avec des croissants. Ils achetèrent Nice-Matin

et lurent un article sur les nuits chaudes au Jardin Albert 1er et au square Jean Lorrain :

"Homos et camés". Il leur sembla presque avoir manqué la ville. Alors ils se rappelèrent que

Nice est une préfecture, comme n'importe quelle sous-préfecture." Nice 1973

 

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6 mai 2012 7 06 /05 /mai /2012 10:11

"A la fermeture on leur indiqua un bistrot ouvert au Cours Saleya. Ils hésitèrent à cinq heures entre un poulet basquaise et un grand crème avec des croissants. Ils achetèrent Nice-Matin et lurent un article

sur les nuits chaudes au Jardin Albert 1er et au square Jean Lorrain : "Homos et camés". Il leur sembla presque avoir manqué la ville. Alors ils se rappelèrent que Nice est une préfecture, comme n'importe

quelle sous-préfecture."

 

J'ai connu les ennuyeux dimanches du quartier des Musiciens, la descente de Gambetta à petits pas, boutiques fermées, cafés presque déserts où vers quatre heures s'affalent les familles sortant du cinéma, rentrant de la Promenade, en février au bout du bras une branche de mimosa qui déjà fane. J'ai connu

la jovialité des maraîchers, le cimetière de Caucade tel un immense jardin privatif, la rue Masséna non piétonne, plus vive, plus calme, ses grands appartements bourgeois, salons en enfilade donnant sur de larges cours, quelques hôtels, les HLM de St. Maurice, le montage des étals à quatre heures sur le

Cours Saleya, les nuits agitées de la rue Alexandre Mari parfois ponctuées de coups de couteau,

l'extrême quiétude au cinquième étage de la rue du Malonat d'où l'on ne voyait qu'une houle de toits

roses et de clochers, la rue Neuve et la rue Pairolière comme jumelles, l'une rouge et l'autre grise, l'une artisanale et l'autre commerçante, et ces façades qui dans la vieille ville incendient l'intérieur des

maisons, pièces minuscules, murs de bois et de torchis où la superposition centenaire des papiers

peints a fini par avoir eu raison des fresques .

 

Chaque jour surtout marcher dans la ville comme s'il s'agissait de la première fois.

Faire d'autres escales. Oublier le dessein initial. Franchir les portes cochères. S'éterniser devant

la façade en trompe-l'oeil sépia d'inspiration Renaissance, rue de la Poissonnerie. Dénombrer les caryatides sur la Promenade des Anglais et boulevard Victor Hugo. Crier avec les  piliers de

Venet qu'on entend au large comme un phare rouillé.

 

Sans le savoir on croise de vieux Niçois qui depuis vingt ans vont de Bieckert au Palais, de la rue Beaumont au Dub Opéra et qui achètent comme vous un croissant chez Auer avant d'aller travailler.

Et pourquoi pas un poète inconnu emboîtant le pas à Nietzsche entre la rue Visconti et l'hôtel Beau-Rivage ?

 

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5 mai 2012 6 05 /05 /mai /2012 08:36

Octobre 1975

Il est temps de couper court aux blasphèmes et de lancer l'appel nécessaire à toute joie

Je t'aime

A peine le cri jeté dans la rue en ouvrant la fenêtre se fut-il perdu,

noyé dans le jet lustral et nocturne

A peine eus-je eu l'impressiond'avoir rêvé que je t'appelais

de ce cinquième étage d'où l'on aperçoit les collines, le cimetière et la mer

Que le chant commença en contrebas

O dolce amor       O mia bellissima       O mia cabretta

Qui, prenant appui à chaque façade se répercutait de rue en rue vers l'aube.

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 08:44

1er août 1997

Frontière

langue bordée de langues

 

appui

cédant sous la nuque

si l'on torture

sous les pas de l'exilé

 

Minuscules états botaniques, les jardins, comme des terres consulaires chargées de retenir quelques bribes d'une patrie délaissée ou délaissante, où s'élabore la science de l'acclimatation d'espèces rares, ou plus exactement et plus souvent d'espèces exilées dont on espère qu'elles voudront bien reprendre leur floraison et leur fructification dans un climat d'elles inconnu - et survivre à leur jardinier.

 

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  • : Inedits de Katy Remy
  • : Inédits sous forme de feuilleton
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