Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 10:34

Hortense après nous avoir écouté sans rien dire s’est mise à lire un passage d'une œuvre romantique dont les illustrations gravées la faisaient sourire. Elle nous a fait approcher et regarder avec elle ce rocher duquel un jeune homme tenant une lettre à la main va se jeter. Elle nous a demandé de lui décrire la scène, ce qui devrait se produire ensuite, quand le corps du héros sera déchiqueté par le ressac. Pas un d’entre nous n’a pensé à Robinson Crusoë. Samuel s’est alors souvenu d’avoir vu contre la berge, au pied du pont qui sépare la ville en deux le corps d'un ami de ses parents. Mais lui ne tenait aucune lettre. Cette mort mystérieuse nous avait longtemps inquiétés. Hortense suggéra qu'il pouvait s'agir d'un amoureux transi, d'un désespoir profond comme en ressentent les jeunes gens. Elle reprit sa lecture et nous ne fûmes pas loin de nous imaginer dans le corps de Paul attendant à jamais Virginie…

 

Parfois, durant cette heure qu’elle nous accordait chaque semaine, elle ne nous parlait pas. Elle triait des photos sur la table du fond, éclairée par une lampe dont la lumière bleuissait au travers d'une double paroi de soie.  Nous nous installions de plus en plus confortablement, allant maintenant jusqu'à relever nos jambes sur le canapé recouvert d'une fourrure grise et pelée. Nous n'osions pas encore fumer comme cela nous arrivait en cachette sous les piles du pont et nous parlions à voix basse. Samuel, petit blond aux yeux cernés, prenait un livre dans la bibliothèque, Jérôme s'appuyait à son épaule et je rêvassais… Nous n'avions jamais l'occasion de ne rien faire, de nous exercer à l'oisiveté. C'était une oisiveté proche de celle que l'on pratique dans les églises, où le fait d'être sensé prier contient et  excite l'imaginaire.

 

Alors, le dimanche, allongé sur mon lit, solitaire, je tentais de reproduire cet état sans y parvenir : un engourdissement général me conduisait rapidement au sommeil. Nous n'avions pas en nous suffisamment de ressources pour résister au temps, à la lenteur, à la somnolence… les conversations dans la pièce voisine éclaboussaient le moindre rêve… seule la télévision parvenait à nous libérer. Quand Hortense nous délaissait, nous ne ressentions ni le silence ni la solitude.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Inedits de Katy Remy
  • : Inédits sous forme de feuilleton
  • Contact

Recherche

Catégories

Liens