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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 08:25

Une bibliothèque entourait la pièce, rompue seulement par les verticales de la porte, des deux fenêtres et de la cheminée. Elle avait suspendu des barres sur la tranche des planches et y accrochait des tableaux qu'elle déplaçait, échangeait, supprimait. Un jour, il n'y eut qu’une esquisse dans le goût pompier du XVIII° siècle français qui ne se trouve plus que chez les collectionneurs étrangers les plus vulgaires et reproduits en tapisserie au petit point chez les dames du quartier nord de la ville. Je passais chaque jour devant une vitrine d'ouvrages de dames qui en regorgeait: des fesses enroulées de satin et de gaze, des nichons rose incarnat au sein d'églantines dont les pétales parsèment jusqu'aux accoudoirs de la parure de salon: canapé deux places, quatre fauteuils et un écran pare-feu. Dans la petite salle d'attente du  médecin généraliste où m’emmenait ma mère, sa femme en exécutait de semblables depuis dix ans. J’ai regardé attentivement cette sanguine qu'elle n'avait placée là me sembla-t-il que d'une manière provocatrice.

 

Nous n'en avions pas parlé pas devant elle, mais redescendant vers le fleuve dans les petites ruelles encore envahies de roses, nous avions tenté d'exorciser par le rire la question que nous posait cette femme ventrue et fessue couchée sur le ventre et tournant vers nous un regard piquant et faux. Il est vrai que c'est justement cette femme-là à laquelle nous nous intéressions, et qui se cachait à leur insu sous les traits de nos amies.  Nous savions qu'elle existait. Elle avait pour tout attrait la liberté d'une chair inclémente. Il pourrait un jour s'ouvrir une porte sur des rideaux de mousseline et sur le réveil d'une telle femme. Rien qu'un petit lever, une légère toilette. De l'intimité spectacle. L'un se vantait d'y résister et l'autre d'en avoir déjà profité. Nous dévalions dans le froid jusqu'aux maisons humides.

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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 17:14

 

Je l’appelais Hortense.

 

Elle s’était assise près de moi, près de la cheminée, près du chat qui s'étirait, près de ce tableau représentant une femme couchée sur un sofa, qui lit. Elle était auprès des choses et des êtres. Elle les frôlait. Son regard ne s'habituait pas à la pleine lumière, il lui fallait des voiles et des ombrelles. Elle parcourait le monde du regard à travers le livre qu'elle tenait, et qui ressemblait souvent à un dictionnaire. Quand on s'approchait d'elle, on était saisi d'une odeur particulière. D'abord on songeait à ses cheveux, puis à ses lèvres. C’étaient ses mains qu'elle parfumait ainsi, uniquement ses mains. Elle les frottait avec une boule de bois remplie d’ambre gris. Elle ne rencontrait pas les obstacles ni ne les évitait, c’étaient eux qui paraissaient s'écarter légèrement sur son passage. Il en était de même pour les événements de sa vie. Elle n'avait semblait-il jamais lutté contre personne. Elle allait son chemin, comme si elle avait depuis toujours baissé les yeux pour ne pas avoir à affronter le monde. Comme une idole. Elle n'élevait pas la voix, l'autre se penchait pour l'entendre. Si on ne lui prêtait aucune attention, elle n'en éprouvait pas de dépit. Ce qu'elle avait à dire pouvait toujours attendre. Elle ne s'impliquait jamais dans les affaires immédiates. Elle n'attendait rien de personne.

 

Elle nous recevait sans se lever, sans lever la tête de son livre, sans s'enquérir de ce que nous désirions. Nous avions pris l'habitude de lui rendre visite en sortant du collège, secrètement bien sûr.

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